Les apparences sont parfois trompeuses
de John K. Wood (traduction Olga Kauffmann)

Il était connu pour être un jeune homme rêveur, avait peu d'amis et était solitaire.
Malgré une vive curiosité, il était timide et avait des difficultés à se joindre aux groupes sociaux.
Cependant, parce qu'il avait certaines inclinations religieuses héritées sans doute des traditions familiales, il s'inscrivit un dimanche matin à un groupe de l'YMCA.


En un premier temps ce fut une expérience frustrante, aussi bien pour lui que pour les autres.
C'était différent de l'école, où les cours étaient donnés par un professeur, et où la classe suivait un programme bien défini d'exposés, récitations et examens.
C'était également différent de la maison, où le père planifiait ses activités et faisait observer un règlement strict mais non dénué d'amour.

Dans le groupe de l'YMCA, le chef ne suivait aucun système, ne donnait pas d'instructions, n'établissait aucune règle, aucun plan pour le jeune homme ou ses compagnons.
Le groupe était complètement livré à lui-même.

Pour ce jeune participant, le chef était une véritable énigme.
Sans aucun doute quelqu'un de bien intentionné, amical, toujours attentif, curieux.
Il semblait apprendre en même temps que les autres et prendre du plaisir à partager les découvertes.
Il donnait cette impression d'aimer sincèrement la classe et tous les participants.

Malgré tout, pensait le jeune homme, le chef n'était de toute évidence pas à la hauteur.
Pourquoi, se demandait-il souvent, ne nous dit-il pas ce qu'il faut faire, ce qu'il veut que nous apprenions et comment nous devons l'apprendre.
Plus d'une fois, il en était venu à la conclusion que le chef ne devait simplement pas savoir comment organiser un groupe d'apprentissage.

Laissés complètement libres de participer à une activité quelconque, les étudiants maîtrisèrent l'absence de direction et s'impliquèrent rapidement dans différents types de projets.
Ils prirent leurs propres décisions, firent des choix personnels, apprirent alors et instaurèrent rapidement une méthode de direction sans chef et basée sur la discussion.
Ils établirent leur propre programme d'études et organisèrent toutes sortes d'activités sociales et éducatives.

Au fur et à mesure que le groupe avançait dans son apprentissage spontané, engageant des discussions profondes sur différents thèmes, il devenait très bien informé et homogène.
Les participants apprirent à se connaître et à se faire profondément confiance.
Pour la première fois, le jeune homme goûta l'intimité en dehors de son milieu familial et se senti très proche de personnes ne faisant pas partie de ce milieu.

Impressionné par cette forte expérience, il y réfléchit souvent.
Il eut d'abord un vague doute, puis, les années aidant, ce doute se précisa, mûrit.
Le chef, après tout, n'était pas tout à fait incompétent.
Peut-être y avait-il une espèce de sagesse dans ses façons de faire, à première vue maladroites et fantaisistes.
Etait-il possible qu'il se soit conduit de cette façon en sachant exactement ce qu'il faisait ?

Le fait de laisser au groupe l'entière disponibilité de lui-même avait créé un environnement bien plus riche et productif que n'importe quel autre imaginé par les participants.
La simple reconnaissance, le simple respect de la créativité avait débloqué un formidable pouvoir.
Les liens d'amitié et de camaraderie qui se développèrent dans ce groupe de 25 jeunes hommes furent un élément extrèmement important dans leurs vies ultérieures.

Aujourd'hui encore, le jeune participant ne sait pas si le chef était un sage ou un petit peu fou.

Le chef de groupe : Professeur Georges Humphrey

Le participant : Carl R. Rogers